L'artisanat du cuir avec Renaissance Cuir

PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Pero, fondateurs de Renaissance Cuir. Sébastien et Christophe sont des artisans du cuir. Ils portent des tabliers japonais en lin pour faire renaître des cuirs de chaussures, sacs, blousons, et meubles. Après avoir installé leur atelier rue des Gravilliers à Paris, ils ont découvert que c’était autrefois une rue de tanneurs. Certains disent qu’il n’y a pas de hasard. Sébastien nous parle aussi de son histoire avec cette matière et sa vision de l’artisanat français qu’il affectionne particulièrement.

 

Vos prénoms et noms ? 
Sébastien Monier et Christophe Péro et on répond à quelques questions pour PAïSAN. 

Que cultivez-vous ?
On cultive l’artisanat français et le savoir-faire français. Donc, on est des artisans du cuir et on travaille surtout sur la couleur et la rénovation du cuir, la patine, la coloration et le soin.  

Vous faisiez quoi avant ? 
Moi, Sébastien, je viens de l'audiovisuel. J’ai une formation d’assistant réalisateur sur les documentaires. Je n'arrivais pas à en vivre correctement donc j’ai cherché un petit boulot d'appoint. Je suis devenu chausseur. Je travaillais pour la marque Bowen qui est une marque de souliers français qui fabriquait en Angleterre et en Italie. Christophe, qui est un ami d’enfance, vient du pétrole. Il travaillait dans une raffinerie, il faisait Les 3 huit et ça l’embêtait. Il arrivait à un moment où il en avait un peu marre de faire ce métier-là. Quand je lui ai dit que j’avais dans l’idée d’ouvrir un atelier du cuir pour patiner et préserver le cuir, il a été chaud de suite. Voilà, on a ouvert Renaissance Cuir en 2012. 

Ta rencontre avec le cuir ? 
Avec le métier de chausseur. Je ne voulais pas faire de la vente, je voulais vraiment être un conseiller de vente. Travailler sur les chaussures pour les chaussures. J’ai une approche plus commerçante que commerciale. Et puis, j’ai commencé à patiner mes souliers et j’ai adoré ça. J’adore les couleurs. J’ai trouvé un lien entre les couleurs que je pouvais retranscrire sur le cuir et celles que je pouvais voir derrière une caméra. Donc voilà, j’ai essayé de cultiver cette fibre-là. 

Pourquoi "Renaissance Cuir" ? 
On s’est dit voilà, on veut créer un atelier pour retravailler, redonner vie au cuir donc le mot Renaissance est arrivé très rapidement. Puis, on s’est dit, que le mot “renaissance” est très français et donc si on voulait ouvrir à l’international : ouvrir un atelier à New-York, à Londres ou dans le Kentucky ! (rire) Le mot Renaissance ne se traduit pas donc ce sera “renaissance” et tout de suite on saura que c’est du savoir-faire français. 

C'est quoi un beau cuir ?
Alors un beau cuir, c’est déjà un cuir qui n’est pas trop transformé, c’est un cuir qui va être tanné naturellement. Il y a différents cuirs. Pour moi, le plus beau cuir, c’est le veau. C’est ce qui est le plus noble en fait. Le cuir est une matière noble mais le veau est ce qu’il y a de plus agréable à travailler. C’est horrible ce que je vais dire mais, c’est un nourrisson. C’est une peau de bébé donc c’est du lait. Il n’a pas été enfermé donc il n’y a pas trop de rayures et d'impuretés sur la peau. Il y a le cerf qui est très beau, le sanglier mais tout dépend de la façon dont ça a été tanné.

PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Péro - Renaissance Cuir
PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Péro - Renaissance Cuir

Les différents cuir qui existent ? 
Il y a les cuirs exotiques. Tout ce qui est serpent, crocodile, le galuchat, l’autruche. Et chaque cuir a sa spécificité. Le sanglier, le cerf vont être très épais, par contre vous mettez ça en souliers, vous traversez l’Antarctique avec, sans aucun souci. Le cuir utilisé sur les souliers, n’est pas le même que sur les sacs ou les manteaux. C’est très intéressant de travailler tous ces cuirs puisque chaque cuir va réagir différemment. Par contre, le cuir exotique est très difficile à retravailler. On a une gamme de peaux qui est hyper intéressante. 

Le tannage, c’est la clé d’un beau cuir ? 
Bien sûr, surtout par rapport à notre travail à nous. Le tannage peut rattraper pas mal d’impuretés sur le cuir. Il y a 2 tannages différents. Il y a un tannage au chrome et un tannage naturel. Le tannage naturel est beaucoup plus long. Ça se fait dans des gros fûts de chênes et on laisse des copeaux et un mélange de choses naturelles. Alors que le tannage au chrome, on met pas mal de produits chimiques, c’est plus rapide et du coup c’est moins cher. 

Mais la qualité du tannage sera la même ? 
Non, puisque le tannage végétal avec le temps va se patiner. Le cuir est une matière morte mais qui vit toujours. Alors qu’avec le tannage au chrome, ton noir va rester noir pendant des années parce que c’est chimique. 

Pourquoi mon cuir a durci ? 
En fait, il a dû prendre l’eau et l’humidité. L’humidité a stagné dans le cuir. Dès que vous prenez l’eau, il faut mouiller toute la chaussure ou tout le cuir et le laisser sécher naturellement. C’est une peau, donc il faut prendre comme exemple notre peau à nous. C’est comme le visage avant de se remaquiller, on se démaquille, on se nettoie le visage, on se nourrit. Là, c’est la même chose. S’il a durci, c’est qu’il a pris l’eau et qu’il a moisi, donc il faut le retravailler. L’avantage du cuir, c’est que ça se retravaille. 

Le cuir est-il vivant ?
C’est une matière morte mais qui vit toujours. C’est très complexe. Le cuir va continuer à vivre en fonction de ce que vous allez mettre dessus et en fonction de l’utilité. Vous allez prendre l’eau, la pollution, la boue ... et vous allez pouvoir le nettoyer, le nourrir et il va reprendre de son éclat. Donc, ça continue à vivre malgré le fait que ce soit mort. 

Quels gestes simples adopter pour préserver ses objets en cuir ?
Il ne faut pas oublier que c’est une peau donc il faut penser à la nettoyer de temps en temps. Prendre une éponge humide, nettoyer toute la surface pour enlever la poussière et ce genre de choses. La laisser sécher naturellement. Il ne faut  jamais la mettre près d’une source de chaleur pour accélérer le séchage, c’est ce qui va la durcir et elle va craqueler. Après, il faut le nourrir. Il y a des crèmes. Le 3 en 1, je ne suis pas très pour. Je pars du principe que chaque produit a son utilité donc une crème pour nourrir, une crème pour imperméabiliser et une crème qui va permettre de colorer. Et puis le protéger avec un cirage de la même couleur que le cuir, jamais du cirage incolore. Jamais, puisqu’on a tendance à vouloir trop en mettre et du coup ça blanchit le cuir. 

PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Péro - Renaissance Cuir
PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Péro - Renaissance Cuir

Qui sont vos clients ?
Alors, on a du particulier, du professionnel et des marques de luxe. On a la grande chance de travailler avec le particulier qui a des demandes très spécifiques, de re-teinte des manteaux, des sacs, ce genre de choses. Et puis, on travaille avec des grandes marques de luxe, des marques françaises qui commencent par un “H”. On a travaillé avec Louis Vuitton, on a travaillé avec la ganterie Agnelle. On travaille avec des petites sociétés qui travaillent sur le mobilier. Puis, on travaille aussi avec une galerie d’art. Là, on va plus travailler sur des nuances de couleurs pour leur future collection. 

Est-ce qu’un mobilier en cuir se travaille de la même manière qu’un manteau ou des chaussures ? 
La façon de les travailler va être un peu différente. Il y a des étapes du produit qu’on va plus ou moins utiliser sur du mobilier plus que sur des souliers. Mais c’est souvent la même chose. Après, c’est juste que la surface est plus grande. 

Tu as un objet que tu préfères travailler plus qu’un autre ? 
Je viens du soulier donc j’adore ça ! Maintenant, la contrainte du soulier c’est le cuir. Il y a de moins en moins de marques qui travaillent avec du très bon cuir, donc c’est un peu compliqué pour nous de faire des couleurs. En ce moment, on travaille sur du mobilier et c’est vrai que c’est très agréable parce qu’avant de travailler avec une marque, on les oriente vers un cuir auquel on est attachés, sur le veau. Du coup, on sait très bien comment ça va réagir et c’est un plaisir de travailler cette matière-là. Donc oui, c’est le mobilier et les souliers. 

Que vous apporte-t-on le plus ?
On est ouvert depuis quand même 8 ans. D’années en années, c’est différent. On a  beaucoup eu de souliers. Après, on a eu beaucoup de sacs. On commence à avoir pas mal de manteaux et là, on a de plus en plus de mobiliers donc canapés, fauteuils, tables...voilà. En soit, il faudrait que je regarde sur ma caisse mais je dirais que oui, on a quand même pas mal de souliers. 

Vous pouvez récupérer n'importe quelle pièce en cuir ?
Non, on ne peut pas tout récupérer. On peut maquiller. C’est comme de la peinture. Vous allez avoir une surface pour travailler un mur et vous avez un trou dedans. Vous allez mettre de l’enduit et repeindre par-dessus. Et bien, nous on peut faire ça. On a un petit trou, on met une pâte qu’on va laisser sécher, qu’on va reteindre. Mais, il y a des cuirs où on ne peut rien faire. On ne peut pas les rattraper, c’est impossible parce qu’il a durci, il a vieilli, il a craquelé. S’il n’y a pas eu d'entretien en amont, je ne peux pas faire des miracles. Ce qui est très compliqué à faire comprendre dans notre métier, c’est qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire.

La renaissance en cours ?
On est vraiment 2 personnes différentes Christophe et moi. On ne va pas travailler sur les mêmes choses. Christophe travaille beaucoup sur les sacs et les manteaux. Moi, là je suis sur des souliers, j’ai des baskets que je suis en train de travailler. Et puis, j’ai aussi un manteau à retravailler qui est pas mal abîmé et du mobilier. 

Le travail le plus délicat que vous ayez eu ?
Le travail va dépendre de la matière. On travaille pour la marque Goyard. On nous a amené un sac qui coûte 35 000 € donc là, on y va petit à petit. On met beaucoup plus de temps parce qu’on n’ose pas faire certaines choses. Et surtout, c’était du croco. Il a fallu faire du relief, c’était un peu délicat à travailler. 

PAïSAN rencontre Sébastien Monier et Christophe Péro - Renaissance Cuir

Le cuir vegan, vous en pensez quoi ?
Alors on voit pas mais tu as mis entre guillemets vegan. On ne peut pas associer les deux mots. Le cuir, c’est de la peau donc une peau vegan, ça n’est pas possible.  On s’est renseigné pour faire des choses vegan et le travailler pour voir comment ça pouvait réagir. Le vegan, c’est le tissu. On ne peut pas dire cuir vegan, ce n’est pas possible. 

Quel tablier portez-vous ?
On porte un tablier en lin japonais, parce que c’est très léger et que c’est important de ne pas avoir trop de poids sur nous toute la journée. Il existe du cuir qui est très léger mais je trouve qu’on travaille déjà assez le cuir pour éviter d’en porter. C’est très important d’avoir un tablier, ça raconte une histoire. Surtout quand on est artisans. On a toujours mis des tabliers depuis le début. C’est un costume. On a des bleus de travail aussi quand on a des travaux sur des grosses pièces et chez les particuliers mais dès qu’on passe la porte de notre atelier, on met notre tablier. Et puis c’est comme ça qu’on nous remarque. 

Votre pièce en cuir du quotidien ?
J’ai un porte-cartes auquel je tiens beaucoup parce qu’on l'a fabriqué ici. C’est un cuir qu’on a reçu d’une très grande tannerie française. On a aussi voulu développer ce genre de choses, le fabriqué en France avec du cuir français. Je dirai que c’est mon petit porte-cartes personnalisé. 

Vous faites des objets en cuir ? 
On fait des porte-cartes, des ceintures, on fait des portefeuilles. On a développé une petite gamme de maroquinerie parce qu’on est devenu un atelier-boutique. C’est du cuir français, du veau français, tannerie française, patiné à l’atelier et fabriqué en Ile-de-France. 

Un objet de votre quotidien ?
Le tablier, les gants, le pinceau et puis un chiffon et mes mains. 

Un lieu à nous faire découvrir ?
On est à Arts et Métiers et il y a beaucoup d’orfèvres. Il y a un orfèvre qui se trouve à côté de chez nous, qui s’appelle Richard Orfèvre. C’est un super métier. Son atelier est assez intéressant. Il a de grosses machines. Il est au fond d’une cour. Il y a une odeur particulière. Nous, on est pas cordonnier, on est pas teinturier, on est entre-deux. Lui, il a un vrai corps de métier. Donc il s’appelle Jean-Pierre et il fait du très beau travail. Entre autres, il fait la coupe de Roland Garros. 

Une personne ou un collectif pour notre prochaine interview ?
Il y a les métiers comme cuisiniers, pâtissiers, boulangers. Ce sont des métiers de l’artisanat mais en fait, on est entre l’artisanat et le luxe. Il y a une fine frontière et je trouve qu’il y a des pâtissiers qui font des produits très luxueux. C’est ça, le savoir-faire français qui est reconnu dans le monde !

Quelle question avons-nous oublié de vous poser ?
On est arrivés en 2018 rue des Gravilliers. Ce qui est drôle avec la rue des Gravilliers, c’est que le mot “Gravilliers” a un lien avec le cuir. Il y a une histoire qui dit qu’on avait des tanneries de cuir rue des Gravilliers. Ils travaillaient avec des graviers et c’est devenu Gravilliers. Sinon, il y a notre âge et c’est bien de ne pas avoir posé la question. 

Cultivez le lien en retrouvant Renaissance Cuir
sur Instagram @renaissancecuir
sur Internet renaissancecuir.com
au 40 Rue des Gravilliers à Paris (75003)

 

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